La cigarette électronique où la difficulté de prouver scientifiquement son efficacité
Janvier 2019 est une date à marquer d’une pierre blanche dans l’histoire de la vape puisque, pour la première fois, le Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE) reconnaît officiellement que la cigarette électronique est un outil de sevrage tabagique efficace1. Il préconise également la mise en place de formations sur le fonctionnement du matériel à destination des professionnels de santé pour promouvoir son utilisation auprès des fumeurs. C’est un symbole important qui devrait marquer un tournant dans la vape en France.
Cela fait presque une décennie que la cigarette électronique est utilisée par des fumeurs pour ralentir voire arrêter complètement leur consommation de cigarettes de tabac. Malgré cela, l’efficacité de la vape reste difficile à prouver d’un point de vue scientifique.
Lorsque l’on étudie des compilations d’articles, il n’est pas rare de trouver encore des conclusions comme « l’efficacité des e-cigarettes comme outil de sevrage tabagique est à l’heure actuelle, incertain, dû au manque de données ou à la qualité des données récoltées lors d’essais cliniques 2-4 ». Alors que d’autres études affirment au contraire que l’utilisation quotidienne d’une cigarette électronique chez un fumeur augmenterait ses chances d’arrêt de 6 à 15%, en comparaison avec d’autres substituts nicotiniques5-6.
Cette ambivalence s’explique en partie par la difficulté de confronter l’analyse statistique à la réalité du terrain. En effet, les études cliniques destinées à observer le comportement des utilisateurs doivent respecter un protocole d’encadrement très stricte. Les vapoteurs n’ont alors pas la possibilité de choisir ou de varier le matériel ou le liquide qui sont bien souvent imposés lors de l’étude. Or, l’un des principaux avantages de la vape réside dans son côté modulaire. Dans la réalité, le consommateur choisit sa cigarette électronique et son e-liquide en fonction de ses besoins. Ces conditions ne sont pas compatibles avec le cadre normé d’un essai clinique.
Une autre difficulté vient aussi s’ajouter au manque de réalisme des données cliniques, c’est le caractère très évolutif de ce secteur. Les études produites deviennent vite obsolètes tant le matériel et les habitudes des consommateurs changent rapidement. Prenons en exemple celles réalisées en 2011 qui ne sont plus représentatives car le matériel de vaporisation s’est nettement amélioré ces dernières années. Il offre aujourd’hui une plus grande modulation permettant une meilleure délivrance de la nicotine (plus importante, plus rapide) et donc de meilleures chances d’arrêt.
De plus, dans de nombreux cas, l’étude des effets de la e-cig sur le sevrage tabagique se limite aux 3 premiers mois après l’arrêt de la cigarette, ce qui est insuffisant.
Il convient également de s’interroger sur l’influence que peut avoir le traitement médiatique particulier de la vape chez ses utilisateurs. L’image de « cancer électronique » est notamment véhiculée par une certaine presse7 qui n’hésite pas à faire l’amalgame entre le tabac et la nicotine avec pour conséquence la dégradation de l’image de la cigarette électronique par une partie conséquente de la population française. Ces idées reçues peuvent à termes créer des doutes sur son efficacité comme outil de sevrage tabagique. Toutefois, si cette désinformation peut susciter de la méfiance chez les fumeurs et leur entourage, elle ne devrait avoir qu’un effet très limité chez les vapoteurs qui ont déjà passé cette phase de découverte.
Malgré ces nombreux freins, des scientifiques anglais8 ont récemment mené une étude sur les effets du sevrage tabagique auprès de 880 personnes sur une durée d’un an . La moitié a utilisé des cigarettes électroniques (rechargeables, libre choix des e-liquides), les autres ont consommé d’autres substituts nicotiniques (association de plusieurs substituts pour 88% des candidats). Dans chacune des catégories, un accompagnement médical était proposé. Les résultats démontrent la supériorité de la cigarette électronique sur les autres substituts avec un pourcentage de réussite après un an de 18% pour l’e-cig contre 8% pour les substituts « classiques » (patchs, gums, spray…).
La cigarette fumée : une drogue dure aux multiples facettes
En 2017, une review9 synthétisant les conclusions de plus de 2700 études consacrées à l’impact de la dépendance tabagique, arrive à la conclusion que 70% des personnes ayant essayé au moins une fois la cigarette de tabac sont amenées à devenir des fumeurs quotidiens.
La dépendance tabagique n’est pas uniquement le fruit d’une dépendance physique à la nicotine. Il existe une dépendance pharmacologique, mais aussi psychologique et sociale : la vitesse d’assimilation de la nicotine, la gestuelle (prise en main, contact de la cigarette avec la bouche, inhalation et exhalation de la fumée…), son rôle social (pauses café, soirées …). Toutes ces habitudes sont ancrées chez le fumeur. Et pour réussir son sevrage, il a besoin de toutes les satisfaire. Il ne suffit donc pas de fournir des doses suffisantes de nicotine à son cerveau, il est aussi nécessaire de répondre aux autres demandes du fumeur comme tenir un objet dans la main ou exhaler de la vapeur (ou de la fumée). Par ailleurs, la dépendance tabagique relève aussi d’une dimension individuelle voire personnelle. L’envie de cigarette peut se déclencher de plusieurs manières chez les fumeurs et chacun va y réagir différemment, selon le contexte environnemental, social, affectif… Au final, on observe qu’il y a autant de dépendances tabagiques que de fumeurs. Il faut donc comprendre que cette dépendance est extrêmement puissante mais difficile à étudier d’un point de vue scientifique. De plus, l’envie d’une cigarette peut survenir même chez une personne sevrée depuis plusieurs années. Le Pr. B. Dautzenberg, ancien Président de l’Office français de prévention du tabagisme résume très bien la situation : « un ancien fumeur ne deviendra jamais un non-fumeur, il restera à vie un ex-fumeur ».
Face à ce constat, la cigarette électronique représente un intérêt réel. Grâce à son côté modulaire, elle se place en tête des produits efficaces de sevrage tabagique car elle permet de pallier à quasiment toutes les composantes de la dépendance engendrée par la consommation de cigarette de tabac.
Vers un sevrage tabagique plus facile ?
Les détracteurs de la cigarette électronique mettent en avant que vapoter avec un taux de nicotine très faible voire en 0mg/ml ne garantit pas de se sevrer totalement car l’accoutumance de la gestuelle demeure. Si on se sèvre du tabac, ce n’est pas forcément le cas de la nicotine et encore moins de la dimension psychologique de l’acte. La dépendance demeure et les anti-vapes condamnent son utilisation car elle ne permet pas (toujours) l’arrêt total de tous les types de produits nicotinés. Elle risquerait aussi de laisser une porte ouverte à un retour vers le tabac….
Dans une étude anglaise10, des scientifiques ont cherché à observer les causes d’échec de sevrage et ont comparé les résultats des produits du vapotage à ceux d’autres substituts nicotiniques. Il s’avère que pour la e-cig, les effets secondaires indésirables (maux de tête, toux …) sont plus importants au début que pour les autres méthodes. Mais cette observation a tendance à s’inverser après plusieurs semaines de pratique. En effet, le vapoteur c’est entre-temps approprié l’outil et a adapté sa consommation, ce qui est impossible via l’utilisation de patch par exemple. De plus, dans certains cas spécifiques, le vapoteur s’autorise à fumer une cigarette de tabac, sans pour autant en consommer de nouveau régulièrement. Les raisons peuvent être variées comme des problèmes de matériel (batterie déchargée, plus de e-liquide) ou des facteurs sociaux (être avec des fumeurs). Ces « écarts de conduite autorisés », faits assez récents dans l’histoire de l’étude du sevrage tabagique, sont plus faciles à vivre qu’une véritable rechute (tant physiquement, que psychologiquement). Dans cette étude, le Dr Notley10 affirme ainsi que « Pour les anciens fumeurs, la vape offre un plaisir, viable au niveau pharmacologique, mais aussi social et psychologique ; une option de substitut au tabac qui modifie de manière puissante le risque de rechute ».
Et maintenant ?
Dans la mesure où la cigarette électronique est officiellement reconnue comme outil de sevrage tabagique, les médecins devraient être formés et le public mieux informé ! Cela devrait permettre aux fumeurs souhaitant arrêter de fumer, de voir dans la vape, une solution réelle et efficace pour se sevrer de la cigarette de tabac. Il faudrait maintenant que les médias, qui restent pour beaucoup de grands influenceurs auprès de l’opinion publique, soient réceptifs à ce changement et qu’ils fassent évoluer leurs discours sur la cigarette électronique. L’espoir est permis puisque l’on observe depuis déjà un certain temps qu’une forme d’objectivité émerge dans la presse française. Ainsi un sondage11 commandé par France Info et le Figaro et réalisé à l’occasion de la journée mondiale sans tabac en mai 2018 a démontré que la vape était devenue l’outil de sevrage tabagique le plus plébiscité par les fumeurs en France.
Sources
1 : Conseil économique, social et environnemental, 2019 https://www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/Avis/2019/2019_02_addictions.pdf
2 : Hartmann-Boyce et al, 2016
3 : El Dib et al, 2017
4 : Kalkhoran et al, 2016
5 : Benmarhnia et al, 2018
6 : Giovenco et al, 2018
7 : The Denver Post, 2019
8 : Hajek et al, 2019
9 : MChem et al, 2017
10 : Notley et al, 2018
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