La théorie de la passerelle, ou effet passerelle (gateway effect, en anglais) a vu le jour dans les années 70 afin de décrire la potentielle proximité entre consommation de drogues licites et illicites. D’abord descriptive, cette théorie a rapidement été utilisée afin de produire des modèles prédictifs, liant notamment la consommation de cannabis à celle d’héroïne [1].

Aujourd’hui, la théorie de la passerelle appliquée aux produits du vapotage argue que la vape pourrait initier les jeunes non-fumeurs au tabagisme.

Ce postulat est notamment utilisé pour justifier une régulation restrictive des produits du vapotage dans de nombreux pays comme l’indique, par exemple, la Directive européenne sur les Produits du Tabac, ou TPD [2].

Dans le cadre du vapotage, l’effet passerelle repose sur deux postulats :

  1. Un certain nombre de jeunes non-fumeurs s’initie au vapotage.
  2. Le vapotage des jeunes non-fumeurs les conduit à fumer.

Existe-t-il réellement un effet passerelle entre la vape et l’entrée en tabagisme ?

L’existence d’un effet passerelle entre vapotage et tabagisme est très difficile à étudier expérimentalement. Il est, en effet, méthodologiquement impossible d’établir un lien de causalité entre ces deux pratiques. Ceci en raison d’une trop grande variété de facteurs pouvant mener au tabagisme [3] comme par exemple le fait d’avoir un entourage ou des parents fumeurs.

Ces « verrous méthodologiques » entretiennent le flou sur l’existence d’une réelle passerelle entre le vapotage et le tabagisme tant l’hypothèse ne peut être vérifiée ou réfutée.

L’effet passerelle réfutée par des observations terrain ?

Bien qu’il soit expérimentalement difficile de prouver ou de réfuter cette théorie, elle apparait contradictoire avec des observations factuelles faites sur la population :

  • Dans les pays où la vape se démocratise, une chute importante du tabagisme chez les adolescents est observée.
  • Dans les pays qui imposent des restrictions limitant l’utilisation des produits du vapotage, le tabagisme des adolescents ne cesse de croitre [3].

L’hypothèse d’un effet passerelle implique le fait qu’un adolescent décide de vapoter ce qui le mène à devenir un fumeur tandis qu’en l’absence de vapotage, il n’aurait jamais fumé. Ainsi, l’effet passerelle devrait augmenter la prévalence tabagique des adolescents dans les pays ou la vape se démocratise puisque sans la vape, ces adolescents ne seraient jamais devenus des fumeurs.   

Pour les mêmes raisons, dans les pays où la vape ne se démocratise pas, le tabagisme des adolescents ne devrait pas croitre plus rapidement que dans les pays ou la vape est implantée.

En France, d’après l’enquête ESCAPAD 2017, 1,9 % des jeunes de 17 ans vapotent de manière quotidienne : plus de la moitié d’entre eux déclarent aussi fumer quotidiennement. Parmi les adolescents qui ont expérimenté les deux produits, la majorité ont déjà essayé la cigarette ordinaire avant l’e‑cigarette [7].

Enfin de manière générale, on observe que très peu de non-fumeurs sont vapoteurs. Prenons en exemple le Royaume-Uni, qui est actuellement le pays le plus libéral et le plus favorable à l’utilisation de la vape.

On pourrait penser que cette position politique de promotion de la vape comme outil de sevrage tabagique favorise l’utilisation du vaporisateur personnel par les non-fumeurs. En réalité, un rapport gouvernemental anglais de 2018 [4] sur la prévalence tabagique en Grande-Bretagne montre que seuls 4,2% des vapoteurs n’étaient pas fumeur soit 0,5% de la population adulte. Parmi ces 4,2 % de vapoteurs, près de la moitié ne consomme pas de nicotine.

Dans le même sens, le Pr. Dautzenberg présentait, en 2017, une synthèse des observations de l’utilisation des produits du vapotage par les adolescents à Paris, en Grande-Bretagne et aux USA [5]. Dans ces pays où le vapotage est fortement implanté, il apparait que :

  • Le tabagisme est en nette diminution.
  • Parmi les non-fumeurs ayant expérimenté la vape, très peu deviennent vapoteur quotidien.
  • L’utilisation d’e-liquides sans nicotine progresse.

Très récemment, une étude de la prévalence tabagique et de l’utilisation des produits du vapotage chez les adolescents nord-américains vient apporter un nouvel éclairage sur la question [6]. Elle s’appuie sur des données provenant du ‘’National Youth Tobacco Survey’’ (NYTS) produites entre 1999 et 2018.

Les chercheurs observent notamment que :

  • Le tabagisme des adolescents américains décroit entre 1999 et 2018 tandis que l’utilisation des produits du vapotage augmente depuis leur introduction en 2009.
  • L’âge d’initiation au tabagisme augmente depuis 2014 tandis que celui du vapotage reste stable.
  • Le vapotage n’est pas associé à une augmentation de la consommation de nicotine par les adolescents américains et éloigne les jeunes de la cigarette de tabac.
  • Les jeunes vapoteurs s’initient à la consommation de nicotine plus tardivement que les jeunes fumeurs ce qui implique des risques réduits.

Ainsi, bien que l’existence d’un effet passerelle entre vapotage et tabagisme soit une inquiétude pertinente, les observations actuelles ne fournissent aucune preuve de son existence. A l’inverse, elles montrent plutôt que le vapotage entre ‘’en compétition’’ avec le tabagisme et tend à le remplacer dans les pays qui le permettent.

Et bien que ces informations soient accessibles au grand public, de nombreuses institutions internationales et gouvernements utilisent l’hypothèse d’un effet passerelle pour justifier ou préconiser des mesures répressives vis-à-vis des produits du vapotage entretenant le tabagisme chez des populations qu’ils sont censés protéger.

Références :

  1. Vanyukov, M. M., Tarter, R. E., Kirillova, G. P., Kirisci, L., Reynolds, M. D., Kreek, M. J., … & Neale, M. C. (2012). Common liability to addiction and “gateway hypothesis”: theoretical, empirical and evolutionary perspective. Drug and alcohol dependence123, S3-S17.
  2. European Union (EU). Directive 2014/40/EU of the European Parliament and of the council of 3 April 2014 on the approximation of the laws, regulations and administrative provisions of the member states concerning the manufacture, presentation and sale of tobacco and related products and repealing Directive 2001/37/EC. Off J Eur Union 2014 L 127
  3. Etter, J. F. (2018). Gateway effects and electronic cigarettes. Addiction, 113(10), 1776-1783.
  4. http://ash.org.uk/information-and-resources/fact-sheets/use-of-e-cigarettes-among-adults-in-great-britain-2017/
  5. http://www.tobaccopreventioncessation.com/The-use-of-e-cigarettes-in-adolescents-public-health-consequences,71164,0,2.html#.WVAXqj_5qqU.twitter
  6. Foxon, F., & Selya, A. S. (2020). Electronic Cigarettes, Nicotine Use Trends, and Use Initiation Ages among US Adolescents from 1999–2018. Addiction.
  7. Spilka S, Le Nézet O, Janssen E, Brissot A, Philippon A, Shah J, et al. Les drogues à 17 ans : analyse de l’enquête ESCAPAD 2017. Tendances. 2018;(123) :1‑8